Les Attracteurs de Rose Street

Posté par le 22 Sep 2019 dans Littérature, Note de lecture, SFFF | 2 commentaires

Les Attracteurs de Rose Street

de Lucius Shepard

traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque

couverture et conception graphique d’Aurélien Police

Le Bélial’

129 pages

Lucius Shepard est un auteur américain qui a parcouru le monde et exercé toutes sortes de métiers. Il a aussi cumulé bon nombre de récompenses littéraires grâce à sa prose. Pour ma part, j’avais tout juste entendu parler du Dragon Griaule et c’est le premier texte que je lis de lui.

Londres des bas-fonds

Cette novella nous emmène dans un Londres de la fin du XIXe siècle où l’on suit le parcours de Samuel Prothero, aliéniste de son état, qui fait son bonhomme de chemin dans la société lorsque Jeffrey Richmond, un homme à la réputation contestable, lui demande de l’aide pour un « cas » des plus étranges. Intrigué par tant de mystère, Prothero se lance dans une aventure dont il ne reviendra pas tout à fait indemne, même s’il est bien loin de s’en douter.

Le plus clair de l’action va se dérouler dans la demeure de Richmond, sise dans Rose Street, au cœur de l’un des quartiers les plus mal famés de Londres. L’arrivée de l’aliéniste sur les lieux est particulièrement glaçante et cinématographique.

« Pour atteindre Saint Nichol, il fallait d’abord traverser Bethnal Green, un quartier qui n’était guère recommandable lui non plus ; mais rien dans Bethnal Green ne m’avait préparé à la puanteur des rues boueuses de Saint Nichol, ni aux visions de déchéance humaine que j’apercevais à travers les rideaux mouvants du fiacre. »

Choc des classes

Dans ce texte, le contraste entre les différentes classes sociales est frappant. Notre jeune aliéniste avait tout pour être satisfait de son sort, et en fréquentant le Club des Inventeurs, il comptait bien se hisser jusque dans les plus hautes sphères de la société. Richmond, lui, est loin de faire l’unanimité dans ce même Club. Tant et si bien qu’en acceptant la mission que ce dernier lui confie, Prothero met son avenir même en jeu.

Quoi qu’il en soit, quand il pénètre dans la maison de Rose Street, il se rend compte que ce lieu, ayant appartenu à la défunte sœur de Richmond, n’avait été rien d’autre qu’une maison close et il y croise deux jeunes filles qui, sans entrer dans le détail, ont connu une vie bien âpre avant de se retrouver là. Il y a notamment le personnage de Dorothea qui a un parler brut de décoffrage pour en témoigner.

« – Ma mère faisait le trottoir, alors on peut dire que je suis une enfant de a balle. Mais ma spécialité, c’était le vol… avant que mes nichons se mettent à pousser, je veux dire. Je me déguisais en garçon et je me baladais dans les rues entre ici et Bethnal Green. Aucune montre, aucun portefeuille n’était à l’abri. (Elle agita les doigts et sourit.) Les menottes que vous voyez ont fauché la montre du duc de Buckingham. »

Brumes effroyables

Mais ce qui a poussé Richmond à faire appel à l’aliéniste, c’est son invention, ce qu’il a baptisé des attracteurs, sortes de machineries destinées à aspirer tout le smog, toute la brume qui enveloppe sans cesse la capitale et est très présente dès les premières pages.

« Par une soirée d’automne, où le brouillard était si épais que les réverbères se voyaient transformés en inexplicables présences lumineuses comme celles qui, dit-on, flottent par intermittences au-dessus des marais du Nord, je rentrais chez moi après un passage au club, la main collée aux murs de brique pour me guider au cœur des nappes particulièrement denses, lorsque j’entendis des bruits de pas derrière moi. »

Il se trouve que ces rouages n’attirent pas que le brouillard, et c’est sur ce point que Prothero va devoir mener l’enquête. C’est là que le texte révèle son aspect surnaturel dont je ne dirai rien de plus.

J’ai été impressionnée par la finesse de cette plume qui sait dépeindre des lieux et des atmosphères dans leurs moindres détails. Toutefois, dès qu’il s’agit des éléments plus surnaturels, l’auteur se met bien plus en retrait et ses descriptions laissent le soin au lecteur de s’imaginer bien des choses, ce qui à mon sens, rend le texte encore plus effrayant.

L’enquête est menée de main de maître également, avec une progression qui nous amène vers une forme de révélation assez surprenante et pourtant évidente quand on y repense. Ici, le seul bémol pour moi aura été l’aspect romantique du texte, avec le protagoniste qui s’éprend de Jane dans un élan de naïveté assez peu original et par la même occasion assez peu crédible. Quoi qu’il en soit, cette idylle permet de tisser un autre fil narratif et fait même par moments avancer l’intrigue principale, ce qui est tout de même intéressant en soi.

Pour résumer

Encore une réussite pour cette collection du Bélial’ qui propose des textes courts d’excellente facture. J’ai adoré l’atmosphère, sombre et mystérieuse à souhait. Le côté surnaturel m’a vraiment donné quelques sueurs froides tout en me fascinant, bref, un beau texte fantastique qui m’a conquise malgré ses quelques faiblesses.

Lu dans le cadre du challenge S4F3s5 organisé par Lutin.

Pour aller plus loin, quelques autres avis chez Lutin, L’Ours inculteApophis, Shaya, Le Chien critique, Feydrautha

Ou bien signalez-vous en commentaire 🙂

2 Commentaires

  1. Il me vend plutôt du rêve ce texte. Je finirai peut-être par le lire. 🙂

    • Je pense qu’il vaut le détour en effet. Je pourrai te l’apporter à la prochaine occasion aussi 🙂

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