La Ballade de Black Tom
de Victor Lavalle
traduit de l’américain par Benoît Domis
couverture et conception graphique d’Aurélien Police
Le Bélial’
144 pages
Victor Lavalle est un auteur américain dont la mère est d’origine ougandaise ayant grandi dans le Queens. Ce détail a son importance pour cette nouvelle où les quartiers de New York sont souvent évoqués et significatifs. C’est son premier texte traduit en français et j’espère que ce ne sera pas le dernier.
Réécriture lovecraftienne
Comme on le voit dans sa dédicace, il a écrit en réaction à la nouvelle Horreur à Red Hook d’H. P. Lovecraft, qui figure parmi ses textes les plus ouvertement xénophobes. Pour ma part, j’ai fait le choix de lire le texte de Lovecraft uniquement dans un second temps, nous y reviendrons.
Cette nouvelle se divise en deux parties et deux points de vue. Nous commençons en suivant les aventures de Tommy Tester, un piètre musicien Noir vivant à Harlem en 1924 et qui joint difficilement les deux bouts à l’aide de petits boulots plus ou moins sous le manteau pour subvenir à ses besoins et ceux de son vieux père avec qui il partage sa vie. On le croise d’abord alors qu’il effectue une livraison chez une certaine Ma Att, puis, un vieux Blanc d’apparence aisée, Robert Suydam, lui propose de venir jouer chez lui pour une soirée privée assez particulière. La somme offerte en échange fait que Tommy accepte sans hésiter. Bien entendu, tout ne se passera pas exactement comme prévu et cette soirée sera l’occasion de découvertes et transformations surprenantes pour le protagoniste.
Dans la seconde partie, c’est l’agent Malone que nous suivons, dans sa contribution à l’« affaire Suydam » et les conséquences qu’elle aura sur le restant de sa vie. Je n’en dévoile pas plus pour préserver l’intrigue.
Mystère et ésotérisme
Cet agent Malone est un personnage intrigant qui se passionne pour l’ésotérisme, ce qui m’évoque vaguement True Detective.
« … il lui avait suffi d’un coup d’œil au calepin de l’inspecteur — tous ces symboles et signes cabalistiques — pour reconnaître un homme en quête de secrets. Et quel meilleur endroit pour les mettre au jour que le dédale rempli d’étrangers de Red Hook ? »
Toutefois, dans cette partie, certains détails de l’histoire semblent posés là sans grande raison et ne sont pas assez creusés, comme son séjour à Chepachet. C’est dans un second temps, en lisant le texte original de Lovecraft, que j’ai compris qu’il s’agissait en fait d’éléments tirés de ce texte que Lavalle avait voulu reprendre. Je comprends donc mieux pourquoi c’est là, mais je reste un peu mitigée quant à l’utilité de ces insertions.
« Certains individus savent sur l’univers des choses que personne ne devrait connaître ; ils sont aussi capables d’accomplir des choses dont personne ne devrait être capable. »
Par ailleurs, il est plusieurs fois fait référence à l’alphabet suprême et en fin d’ouvrage il est précisé que Lavalle utilise cet élément de façon récurrente. Ce qui intrigue, mais donne aussi envie de lire d’autres textes de lui pour mieux comprendre de quoi il retourne.
Pour en revenir à Lovecraft, j’ai donc lu Horreur à Red Hook dans un second temps en VO et cette lecture ne fut pas des plus agréables, car il y assimile directement les étrangers et immigrés de toutes sortes aux monstres cosmiques qui reviennent si souvent dans son œuvre. La réaction de Victor Lavalle devient hautement compréhensible à la lumière de ce texte. Une réécriture s’imposait.
Racisme ordinaire
Ce qui frappe dans cette nouvelle, c’est la dénonciation du racisme ordinaire que l’on peut y lire.
« Ne pas se faire remarquer, devenir invisible, se montrer accommodant — autant de trucs utiles pour un Noir dans un quartier cent pour cent Blanc. Des techniques de survie. »
Elle est particulièrement bien réalisée dans le sens où l’auteur, au lieu de pointer du doigt ce qui ne va pas et de donner son opinion, se contente de nous narrer cette histoire du point de vue de Tommy qui appréhende les choses en tant qu’homme Noir de Harlem. Ce qui fait que ce qu’il accepte de façon résignée, car il en a l’habitude, semble alors révoltant au lecteur et cette impression ne cesse de monter en crescendo au fil du texte.
New York rouge sang
Cette intrigue se déroule entre les quartiers pauvres et les voisinages plus huppés de New York, ce qui fait que l’on oscille entre deux atmosphères particulièrement bien dépeintes qui viennent renforcer les contrastes narrés dans cette histoire. Ainsi, j’ai beaucoup aimé l’ambiance du club Victoria où Tommy retrouve son ami Buckeye. On pourra aussi apprécier la démesure de la conclusion de cette affaire où Lavalle n’hésite pas à faire couler le sang dans des passages d’une violence et d’une cruauté assez ahurissante. Il me semble que par cet aspect, il se démarque encore de Lovecraft chez qui le sang m’a l’air moins présent ou du moins pas de façon aussi explicite. Mais cela ne fait que renforcer l’impression d’actualité qui se dégage de ce texte qui bien que se déroulant en 1924 ne cesse de renvoyer des échos à notre époque.
Pour résumer
Voici un texte doté d’une atmosphère prenante qui devrait plaire aux amateurs de Lovecraft. C’est aussi un texte qui va beaucoup plus loin, car il aborde des questions de races et de classes qui sont, hélas, encore bien présentes aujourd’hui. Cette nouvelle vaut la peine d’être lue, tout comme les autres textes que j’ai lus précédemment dans cette collection Une Heure Lumière qui va décidément devenir un incontournable de ma bibliothèque personnelle. J’en profite pour signaler que plusieurs nouveaux titres sont parus récemment dans cette collection et qu’une opération spéciale est en cours en ce mois de septembre si ça vous tente.
Lu dans le cadre du challenge S4F3s5 organisé par Lutin.
Pour aller plus loin, quelques autres avis chez Lutin, Nébal, Boudicca, Apophis, Célindanaé.
Ou bien signalez-vous en commentaire 🙂
C’est vrai que j’en entends dire beaucoup de bien. Je le lirai peut-être. Mais d’abord, relire Lovecraft. ^^
(J’ai décidé de venir me balader ici sous mon autre identité, ce sera plus régulier. ^^)
Cool, merci d’être passée par ici, toutes tes identités sont les bienvenues ☺️ je te le prêterai à l’occasion si ça te tente toujours.