Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Cyril Amourette, l’auteur du livre dont vous êtes le héros intitulé Le Vaisseau du Temps, publié chez Walrus. Il a eu la gentillesse de répondre à quelques questions.
Comment t’y es-tu pris pour écrire ce livre ? Comment as-tu géré l’aspect interactif de la chose ?
J’avais un arc narratif principal : la progression du major Briggs à bord de l’ISS Leviathan. Des énigmes sur un bout de papier sur mon bureau, et les réponses dans un coin de ma tête. Ensuite, c’est le major qui a pris les décisions pour moi. C’est aussi lui qui est mort pour moi. Plusieurs fois.
Et puis j’avais son histoire avec Mitsuko qui flottait non loin de là, cette histoire d’amour sur fond de catastrophe générale. Le mouvement entropique qui réduit tout espoir à néant. Cet arc-là a été écrit de bout en bout, chronologiquement. Il en existe d’ailleurs bien plus que ce qui a été retranscrit, aléatoirement, dans le Vaisseau du Temps.
Ensuite, il me fallait un gameplay, comme dans les jeux vidéo. Il s’agit ici d’un jeu et d’un livre, il faut donc une trame narrative et une mécanique de jeu. Le motif de la boucle est au coeur du Vaisseau du Temps. Boucle spatiale, boucle temporelle, boucle narrative, l’alpha et l’oméga, tout est boucle à bord du Leviathan.
Plus prosaïquement, un tableur, et un traitement de texte. Des codes couleur et de la minutie.
En tant qu’auteur, as-tu ressenti ce format spécifique comme une fenêtre de liberté ou une contrainte qui t’empêchait de faire précisément ce que tu voulais ?
J’aime les contraintes. J’aime avoir à raconter une histoire en un nombre de mots définis, ne s’acharner que sur un thème, une problématique. J’adore les commandes, les ordres, les règles. Ce doit être pour cela que j’aime autant les nouvelles, et les formes contractées de narration.
Dans les livres dont vous êtes le héros, il faut écrire de manière quantique : le héros ouvre la porte, ne l’ouvre pas, fait demi-tour, va tout droit, prend son arme, la pose, parle ou reste silencieux. Je n’ai pas à faire de choix. Je dois les écrire. Évidemment, l’idée de liberté est purement illusoire, je dois me tenir à la narration, mais parfois je me dis que telle action est illogique, peu crédible, pourtant elle est là, et elle finit par contaminer le récit.
À plusieurs moments, je pensais qu’un choix n’aurait pas d’incidence sur l’histoire, et puis, la suite des événements qu’il finit par produire, a déclenché quelque chose, tordu ma volonté, au point de faire émerger de nouvelles idées. C’est assez stimulant.
Selon toi, le livre numérique, c’est mieux/moins bien/pareil qu’un livre papier ?
Je n’en ai aucune idée. Nous n’avons pas assez de recul pour le savoir pour le moment, à mon avis. Certains diront que c’est l’avenir, d’autres que c’est une hérésie. La réponse se trouve uniquement dans la littérature que cela va produire. Medium is the message, et celui-ci est encore trop jeune pour que l’on juge l’étendue de sa contamination du réel.
Quand on parle de livres dont vous êtes le héros, on pense immédiatement à de la fantasy. Pourquoi avoir choisi la SF ?
J’ai proposé une dizaine de projets à mon éditeur. Il y avait de la SF, de l’heroic-fantasy, du polar, du drame dans la liste. Il a fallu faire un choix.
J’ai un rapport particulier à la science-fiction, elle est depuis longtemps, je trouve, la seule littérature à se coltiner encore le réel, à l’affronter. Quand tu lis du Greg Egan, tu lis notre époque, ses angoisses, ses projets, ses dangers. C’est assez banal de dire cela, mais la science-fiction est un formidable terrain de jeu, tout est à construire, à anticiper, tant dans la forme que dans le fond. Et l’exploration du format numérique et interactif ouvre un nouveau champ des possibles excitant, plein d’expérimentations ; un laboratoire de catastrophes et de collisions littéraires, un crash-test des mots et des idées.
As-tu d’autres projets d’écriture en cours dont tu aimerais parler ?
Je travaille sur d’autres livres dont vous êtes le héros, avec des narrations plus ramassées, mais avec des interactions plus poussées. Il faut que je me force à écrire des choses tout en sachant qu’elles ne seront pas lues si le lecteur ne fait pas le « bon » choix. Des pans entiers de l’histoire peuvent ainsi passer à la trappe, et rester silencieux dans le livre. C’est très troublant d’imaginer qu’une partie d’un livre est là, mais qu’elle ne sera pas lue.
Merci à Lise pour ces questions, et pour son excellent blog.
Et Merci à Cyril pour ses réponses. Je suis curieuse de lire ses prochaines publications, la littérature comme crash-test des mots et des idées, voilà que me plaît bien.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, il y a une autre interview de lui ici. Et le livre est bien entendu disponible dans toutes les bonnes crèmeries (je crois que je pique la réplique à qqn d’autre, mais je sais plus où j’ai lu ça…)
Vous aimerez peut-être :
Aucun commentaire
Trackbacks/Pingbacks