« Vu que je comprends l’anglais, je peux être traducteur. »
Dans l’esprit de beaucoup de gens, pour être traducteur, il suffit de comprendre une langue. « Tu parles anglais ? Ben tu peux traduire ». Souvent, ce sont des gens qui n’ont pas essayé de le faire eux-mêmes.
En effet, comprendre une langue étrangère est une chose, mais le mécanisme intellectuel de l’interpréter pour la restituer dans une autre langue correspond à un tout autre processus. Pour appuyer mon propos, je peux citer la fameuseThéorie interprétative de la traduction, bien connue de tous les étudiants en traduction. Voici ce qu’en écrit Florence Herbulot dans un article de la revue Méta :
La Théorie interprétative, ou Théorie du sens, que l’on appelle aussi parfois Théorie de l’École de Paris, repose sur un principe essentiel : la traduction n’est pas un travail sur la langue, sur les mots, c’est un travail sur le message, sur le sens.
Qu’il s’agisse de traduction orale ou écrite, littéraire ou technique, l’opération traduisante comporte toujours deux volets : COMPRENDRE et DIRE.
Il s’agit de déverbaliser, après avoir compris, puis de reformuler ou ré-exprimer, et le grand mérite de Danica Seleskovitch et de Marianne Lederer, qui ont établi et défendu ardemment cette théorie, est d’avoir démontré à quel point ce processus est, non seulement important, mais également naturel.
Ces deux phases nécessitent évidemment, pour le traducteur, la possession d’un certain savoir : la connaissance de la langue du texte, la compréhension du sujet, la maîtrise de la langue de rédaction, mais aussi une méthode, des réflexes bien éduqués, qui vont lui permettre d’adopter à l’égard du texte l’attitude qui aboutira au meilleur résultat par la recherche d’équivalences, sans se laisser enfermer dans les simples correspondances.
L’auteur s’appuie sur de nombreux exemples, techniques aussi bien que littéraires, tirés de sa pratique professionnelle pour montrer à quel point l’opération traduisante implique un travail de recherche du sens, suivi d’une reformulation par l’établissement d’équivalences.
La simple compréhension ne suffit donc pas, il existe aussi tout un mécanisme de restitution dans une langue autre, la fameuse action du « passeur » de message.
Aussi une autre erreur fréquente consiste à penser qu’un traducteur peut traduire dans toutes les langues et dans tous les sens. Le processus de traduction implique une connaissance très approfondie de deux langues. Cela n’a rien d’anodin et ce n’est pas avec la méthode Assimil qu’on peut atteindre le niveau requis.
Ainsi de nombreux traducteurs ont une, deux ou trois paires de langues de travail, au-delà, cela devient plus rare. Et, point essentiel, le traducteur qui fait des traductions de qualité travaille toujours vers sa langue maternelle. On a beau être polyglotte comprendre différentes langues, c’est quasiment impossible d’atteindre le niveau de connaissance et d’aisance que l’on a dans sa propre langue maternelle. Même les personnes qui se disent « bilingues » avouent en général avoir une langue de prédilection, souvent celle qu’ils ont le plus souvent pratiquée.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les mécanismes intellectuels mis en œuvre dans le processus de la traduction, une discipline y est entièrement consacrée : la traductologie.
Parmi les auteurs traitant de ce thème, il faut citer Jean-René Ladmiral, le premier à avoir utilisé le terme de traductologie, mais aussi Henri Meschonnic (Poétique du traduire), Antoine Berman (L’épreuve de l’étranger, Culture et traduction dans l’Allemagne romantique), Yves Bonnefoy (La communauté des traducteurs), Georges Mounin (Les belles infidèles), George Steiner (Après Babel : Une poétique du dire et de la traduction), Umberto Eco (Dire presque la même chose : Expériences de traduction)… Cette liste d’ouvrage est loin d’être exhaustive. Ce ne sont là que ceux que je connais déjà ou auxquels je compte m’intéresser un jour.
À noter que l’ISIT a créé un Centre de Recherche Appliquée sur la Traduction, l’Interprétation et le Langage, le CRATIL. Ils sont à l’origine de divers événements comme Le 5 à 7 traductologique du CRATIL.
D’autre part, il existe aussi des Journées d’études Traductologie de plein champ.